06 décembre 2007

Ecrits Corsaires

Le cycle s'est accompli; la sous-culture du pouvoir a absorbé la sous-culture de l'opposition et l'a faite sienne : avec une diabolique habileté, elle en a patiemment fait une mode qui, si on ne peut pas la déclarer fasciste au sens propre du terme, est pourtant bel et bien de pure « extrême-droite ».

Wassily Kandinsky

La fausse expressivité du slogan constitue le nec plus extra de la nouvelle langue technique qui remplace le discours humaniste. Elle symbolise la vie linguistique du futur, c'est à dire d'un monde inexpressif, sans particularismes ni diversités de cultures, un monde parfaitement normalisé et acculturé.
Antoni Tapiès

L'hédonisme du pouvoir de la société de consommation a déshabitué d'un seul coup les gens de la résignation, de l'idée de sacrifice... : les gens ne sont plus disposés -et plus du tout – à abandonner la petite quantité de confort et de bien-être (même misérable) qu'ils ont en quelque sorte gagnée.
Yves Klein

La notion d'individu est par essence contradictoire et inconciliable avec les exigence de la consommation. Il faut détruire l'individu. Il faut le remplacer par l'homme-masse. En somme, dans les cas de révolte de type humaniste – possibles dans le cadre du vieux capitalisme et de la première révolution industrielle – l'Eglise pouvait intervenir et réprimer, en contredisant brutalement une certaine volonté formellement démocratique et libérale du pouvoir de l'Etat. Il y a un double lien de mauvaise foi dans les rapports entre l'Eglise et l'Etat : pour ce qui la concerne, l'Eglise accepte l'Etat bourgeois en lui accordant un soutien et un appui sans lesquels, jusqu'à aujourd'hui, le pouvoir n'aurait pu subsister; pour ce faire, l'Eglise a pourtant dû admettre et approuver l'exigence libérale et la démocratie formelle. L'Eglise à en somme signé un pacte avec le diable, à savoir avec l'Etat bourgeois.

Vincent Van Gogh

Le fascisme proposait un modèle, réactionnaire et monumental, qui est toutefois resté lettre morte. (…) Aujourd’hui, en revanche, l’adhésion aux modèles imposés par le Centre est totale et sans conditions. Les modèles culturels réels sont reniés. L’abjuration est accomplie. On peut donc affirmer que la « tolérance » de l’idéologie hédoniste, défendue par le nouveau pouvoir, est la plus terrible des répressions de l’histoire humaine. Comment a-t-on pu exercer pareille répression ? A partir de deux révolutions (…) : la révolution des infrastructures et la révolution du système des informations. Les routes, la motorisation, etc. ont désormais uni étroitement la périphérie au Centre en abolissant toute distance matérielle. Mais la révolution du système des informations a été plus radicale encore et décisive. Via la télévision, le Centre a assimilé, sur son modèle, le pays entier, ce pays qui était si contrasté et riche de cultures originales. Une œuvre d’homologation, destructrice de toute authenticité, a commencé. Le Centre a imposé - comme je disais - ses modèles : ces modèles sont ceux voulus par la nouvelle industrialisation, qui ne se contente plus de « l’homme-consommateur », mais qui prétend que les idéologies différentes de l’idéologie hédoniste de la consommation ne sont plus concevables. Un hédonisme néo-laïc, aveugle et oublieux de toutes les valeurs humanistes, aveugle et étranger aux sciences humaines.
Joaquin Torres-Garcia

Un rapport homosexuel n'est pas le Mal ou, pour mieux dire, qu'il n'y a rien de mal dans un rapport homosexuel. C'est un rapport comme un autre. Où se trouve donc, je ne dis pas la tolérance, mais l'intelligence et la culture si l'on ne comprend pas cela ?

Joan Miro

Le résultat d'une liberté sexuelle « offerte » par le pouvoir est une véritable névrose générale. La facilité a créé l'obsession ; parce qu'il s'agit d'une obsession « induite » et imposée, qui dérive du fait que la tolérance du pouvoir concerne uniquement l'exigence sexuelle exprimée par le conformisme de la majorité. Il protège uniquement le couple (et, bien sûr, pas que le matrimonial) : et le couple a donc fini par devenir une condition paroxystique, au lieu de devenir un signe de liberté et de bonheur (comme il l'était dans les espérances démocratiques). C'est une convention, une obligation, un devoir social, une anxiété sociale, une caractéristique inévitable de la qualité de vie du consommateur.

Marc Chagall

Qu'est-ce que la culture d'une nation ? On pense couramment, même parmi les personnes cultivées, que c'est la culture des savants, des hommes politiques, des professeurs, des littéraires, des cinéastes..., autrement dit la culture de l'intelligentsia. Mais ce n'est pas vrai. Ce n'est pas non plus la culture de la classe dominante qui, à travers la lutte des classes, essaye de l'imposer au moins formellement. Ce n'est pas non plus, enfin, la culture de la classe dominée, à savoir la culture populaire des ouvriers et des paysans. La culture d'une nation est l'ensemble de toutes ces cultures de classes : c'est leur moyenne.

Edvard Munch

Nombreux sont ceux qui se lamentent (en ces temps d'austerity) devant les incommodités dues à un manque de vie sociale et culturelle organisée (en dehors du centre « pourri ») dans les banlieues saines (dortoirs sans verdure, sans service, sans autonomie, sans véritable rapport humain). Lamentations rhétoriques ! En effet, si ce dont on déplore le manque dans les banlieues existait, ce serait le centre qui l'organiserait ; ce même centre qui, en peu d'années a détruit toutes les cultures périphériques qui – oui, jusqu'à il y a quelques années – assuraient une vie à soi, et, au fond, libre, même dans les banlieues les plus pauvres ou carrément misérables.

Gustave Courbet


Pier Paolo Pasolini, Ecrits Corsaires, 1973-1974

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Grand bravo!!! pas,pour une admiration imbécile par existence,mais par essence...vg

Anonyme a dit…

Tu m'impressionneras toujours!!

Anonyme a dit…

Intéressant tout ça...
Bravo pour votre blog, antoine.
Leely.

http://leelybd.blogspot.com