29 mai 2008

Monumental Serra



Richard Serra occupe la Nef du Grand Palais jusqu'au 15 juin. Artiste contemporain adoubé, il est l'invité de marque de l'édition 2008 de la monumentale Monumenta. Connu et reconnu pour ses immenses formes arrondies de Bilbao ou son labyrinthe d'acier au MoMA à New-York, il adopte ici un style résolument différent, une démarche épurée au maximum, se plaçant ainsi en rupture par rapport aux petites boites surchargées proposées par Anselm Kiefer l'an dernier.

Monolithes glaçants, alignements bigarrés, totems étourdissants, les cinq plaques métalliques agencées par Richard Serra sont autant d'obstacles imposants qui jouent sur la verticalité du lieu. Cette année, l'artiste a décidé de s'emparer du bâtiment dans son intégralité, de faire de la Nef du Grand Palais une oeuvre d'art à part entière, de se la réapproprier intégralement. Pourtant, sa réalisation in situ ne parvient pas à séduire totalement. Les plaques d'acier corten de 17 mètres de hauteur sur 4 mètres de large paraissent un peu ridicules face aux dimensions pharamineuses de la Nef. L'artiste voyait sa construction comme une matérialité mystique, comme le témoin d'un renouveau spirituel, comme le digne successeur de Stonehenge ou Carnac. Pourtant, un bref égarement parmi ses immenses stèles se révèle vide. Vide de sens, vide de talent, vide d'envie. Quand le visiteur pénètre dans la Nef, il est happé par le vacuum qui y règne, par l'absence de perspectives, par le manque de matière où poser son regard. L'horreur du vide le prend à la gorge. Un sentiment renforcé par l'impossibilité d'appréhender l'oeuvre dans son ensemble depuis l'accueil de l'exposition, celle-ci n'offrant que son profil lorsque le visiteur franchi le seuil de ce lieu magique.

La journée, les ombres de la toiture viennent imposer leur empreinte sur les plaques nues, sur les plaques que l'artiste a décidé de ne pas travailler. Une oeuvre brute de décoffrage. Un travail s'inscrivant parfaitement dans le courant du less is more des minimalistes américains. L'épuration poussée à son paroxysme. On peut y voir des traces, des marque, des rayures dues aux conditions de transport ou à l'installation. Les zébrures sont autant de témoignages de l'histoire de la sculpture, depuis sa conception jusqu'à son inauguration. Les stries font partie intégrante de l'oeuvre de Richard Serra. Un peu comme des veines sur un corps humain. La nuit, elles prennent d'ailleurs une autre dimension. Quand le soleil commence à se coucher, la Nef devient intimidante, inquiétante presque. Les cinq blocs de fonte se transforment progressivement en un spectre terrifiant, voire menaçant. Leur masse informe, sombre, austère se dresse vers le ciel bleuté. Lors de sa déambulation nocturne, le visiteur se sent insignifiant face aux 75 tonnes de chacune des plaques rouillées, le visiteur se sent opprimé par la taille écrasante de chacune de ces lames oxydées. L'éclairage angoissant – ou du moins l'absence d'éclairage spécifique – achève de transformer l'apaisant vagabondage noctambule en une implacable descente aux enfers.

Richard Serra a vu dans cet espace le lieu idéal pour se promener. Stimuler par le défi à relever, l'artiste s'est progressivement emparé du lieu pour y insuffler son génie. Sa sculpture propose donc une « promenade » parmi d'immenses stèles d'acier dressées vers le ciel et légèrement inclinées. Pourtant, son titre, volontairement bilingue, semble inadapté. Le bâtiment ne se prête pas forcément à la flânerie. La théâtralité de l'endroit lui a échappé. La Nef du Grand Palais n'est pas un lieu comme un autre. C'est une serre pregnante qui empêche de s'évader. C'est une cathédrale étouffante qui bâillonne la créativité. L'immense coupole enlève toute liberté au visiteur et, à aucun moment, l'oeuvre de Richard Serra ne parvient à échapper au musellement qu'impose la structure réalisée par Henri Deglane pour l'exposition universelle de 1900. L'errance se transforme en une marche du désespoir face à cette architecture architectonique, face à ce conflit entre un lieu historique et une sculpture contemporaine, face à cette confrontation entre la Nef du Grand Palais et la Promenade de Richard Serra. C'est une cloche de verre et d'acier qui oppresse celui qui ose y pénétrer. Le parfait opposé d'une balade solitaire et méditative au grand air du bord de mer. C'est une oeuvre lourde et massive qui oppresse celui qui ose l'observer. Le parfait opposé d'une ballade mélancolique et romantique qui s'élève dans les airs.

2 commentaires:

Antoine a dit…

J'espère que vous apprécierez ma petite présentation finale...^^

Anonyme a dit…

Oh oui, partage-moi (pour parler le durassien).