25 juillet 2008

La planche à voile


Prologue


Les premiers jours de mes vacances noirmoutrines furent rythmés par les épisodes inhérents à la pratique de la planche à voile, dernière lubie antoinienne que je me dois de vous rapporter dans ces moindres détails. Effectivement, mon frère et moi-même avions, dans notre luxuriante jeunesse, pratiqué la planche à voile à l'école de voile locale. Forts de notre expérience passée, sûrs de nous-mêmes, pleins d'allant et décidés à marquer les esprits insulaires de notre exceptionnelle pratique de ce sport magique, nous avons, dès mon arrivée, projeté de nous acheter une planche. Les dés étaient jetés au grand dam des principaux protagonistes. La mise en application de cette idée saugrenue – mais néanmoins longuement préméditée – marque le début d'une série de mésaventures qui nous conduisirent à regretter, parfois, cette acquisition pourtant tant désirée. Différents arguments se pressaient pour justifier un tel achat. D'une part, le vent soufflant de manière systématique sur la côte ouest de l'île - sur la plage où j'ai mes habitudes depuis maintenant vingt-deux ans -, cet achat paraissait même plutôt une façon intelligente de positiver le vent glacial qui déferlait sur le rivage et nous obligeait à rentrer une fois notre baignade quotidienne accomplie. Par ailleurs, les répercussions positives sur mon corps athlétique escomptées par l'achat d'une planche à voile rendait celui-ci tout sauf superflu.

Acte I - L'achat


Après une première reconnaissance effectuée par mon frère cadet à la seule boutique de sports nautiques de l'île, il s'avérait que l'achat d'une planche d'occasion était envisageable d'un point de vue strictement financier, sachant que mon séjour américain avait vidé les économies de toute une vie. Ainsi, me déplaçant en personne jusqu'à la caverne enchantée censée répondre à toutes mes attentes, j'engage la conversation avec l'un des vendeurs afin de déterminer si la planche exposée sur la devanture s'adresse à un public aussi large que moi (ne voyez dans l'utilisation de cet adjectif aucune considération physique visant à glorifier ma musculature hors-du-commun). Evidemment, j'insiste lourdement sur mon niveau flirtant avec l'amateurisme débutant, n'omettant aucun détail susceptible de refroidir n'importe quel commerçant voulant se débarrasser d'une piètre planche à voile. Nous repartons donc avec une magnifique planche Bic et une voile de 5,70m glanées pour quelques centaines d'euros. Quelques heures plus tard, nous sommes confrontés à un problème de taille. Ni mon frère, ni moi-même n'arrivons à tenir debout sur la planche et à remonter la voile de manière pouvoir avancer perpendiculairement à la direction du vent. Le bougre de vendeur a dû me prendre pour un client modeste, n'imaginant pas un seul instant que l'emphase était ma manière d'exister et que par conséquent, l'humilité était une caractéristique bannie de mon mode de vie. Mettant ce manque de réussite chronique à la force du vent inadaptée à notre grand retour sur les eaux atlantiques après quatre ans d'infidélité, nous tentons à nouveau notre chance le lendemain matin (pour ceux qui ne seraient pas de fins connaisseurs des conditions météorologiques de l'île de Noirmoutier, il est bon de savoir que le vent a tendance à se lever en début d'après-midi et même si j'aurais bien aimé calquer mon biorythme sur celui du vent, il me fallut dès lors me lever de bon matin...). Nouvel échec, nouvelle désillusion. Au mieux de ma forme, j'arrive à faire une centaine de mètres, luttant désespérément pour que ma planche ne s'enfonce pas vers l'avant ou au contraire cherchant à tout prix à ne pas sombrer par l'arrière. Et le plus décevant dans cette épisode profondément traumatisant, c'est que je fus physiquement et psychologiquement incapable de revenir sur mes pas et de rejoindre la terre ferme, le vent d'Est ne me facilitant pas forcément la tâche. Me voilà donc nageant, tirant derrière moi un flotteur, un mât, une voile et un wishbone. Mon frère n'ayant pas davantage de réussite à la discipline ancestrale du lever de voile, nous décidâmes d'un commun accord de rapporter notre planche pour négocier un échange contre du matériel davantage approprié à notre pratique décontractée.
Acte II – L'aller-retour inutile

Notre seconde visite n'aboutit à rien de concret et ce deuxième acte sert seulement à conserver une construction en cinq actes si chère à nos auteurs classiques. Ainsi, lors de cette visite, un autre vendeur – aux conseils pertinents et à l'esprit arrangeant - nous conseilla de revenir le lendemain, espérant avoir reçu d'ici là un flotteur Tiga plus approprié à une pratique sans prise de tête de la planche à voile. Pour ceux qui s'intéressent à des considérations d'ordre technique, c'est ici que je suis censé préciser que ce flotteur possède une dérive, petite invention humaine fort sympathique pour gagner en stabilité. En effet, nos difficultés peuvent en grande partie être expliquées par l'absence de dérive sur la planche Bic, les planches de l'école de voile se différenciant par la présence de la-dite dérive. Pour davantage de renseignements, je vous conseille d'aller vous instruire sur wikipédia.

(pour ce qui est des dérives liées à la consommation de cannabis, elles feront peut-être l'objet d'un autre billet)
Acte III – Le nouveau flotteur

Le lendemain, de bon matin (comprendre vers trois heures de l'après-midi), nous nous précipitons chercher notre nouveau flotteur. L'échange nous coûte quelques dizaines d'euros mais nous sommes désormais confiants dans notre réussite future. Mon frère suggère également un changement de voile. Les vendeurs nous en dissuadent et nous implorent d'essayer notre voilure originelle dans de nouvelles conditions. Un échec. Cuisant. Douloureux. Outre le fait que mon frère n'arrive toujours pas à soulever la voile, celui-ci la laisse malencontreusement se déchirer dans les vagues venues s'écraser le lit formé par le sable fin (une autre version de l'histoire met en cause La Route de Cormac Mac Carthy, lecture si passionnante qu'elle m'empêcha d'aller seconder mon frère à son approche de la grève). En cet après-midi funeste, je n'ai donc pas l'occasion d'essayer le nouveau flotteur alors que je l'ai pourtant douloureusement porté de la maison familiale à la plage, l'achat d'un chariot ayant été repoussé pour cause de prix prohibitif. Le soir, l'ambiance entre mon frère et moi est aussi tendue qu'un string (je ne peux être tenu responsable d'une comparaison aussi vulgaire) et la peur de ne jamais réussir à profiter de notre planche se lit sur nos visages défaits.
Acte IV – La nouvelle voile


Le lendemain, nous reprenons, la tête basse et l'esprit paralysé par des pensées honteuses, le chemin du magasin, espérant que la voile de 5 mètres sur laquelle lorgnait mon frère la veille soit encore là. Fort heureusement, celle-ci est encore là. Elle est belle, colorée, renforcée, en meilleur état que la précédente. La carte bancaire (de ma mère) chauffe à nouveau et nous revenons plein d'entrain à la maison présenter notre nouvelle possession en espérant avoir désormais trouvé la configuration idéale. Il faut avant tout vaincre la peur d'un nouvel échec. Le matin, tout se passe à merveille. Je retrouve des sensations enfouies dans mon passé. Placer mes pieds autour du mat, relever la voile, saisir le wishbone de la main droite, puis des deux mains, profiter de la vitesse - somme toute assez réduite en cette calme matinée d'été -, placer la voile sur l'arrière de la planche, tourner autour du mât, reprendre le wishbone à deux mains. Gonflé d'une confiance retrouvée, je décide de réitérer mon exploit l'après-midi. Le vent souffle, souffle très fort même. Après quelques hésitations, je parviens à démarrer et à longer la plage à une distance raisonnable. Pourtant, le demi-tour pose problème. Je me révèle incapable de remonter la voile. Et une fois de plus, je me vois contraint de ramener ma planche à la nage, sur plusieurs centaines de mètres.
Acte V – Le nouveau pied de mât


Le lendemain matin, je parviens à franchir la barrière formée par les vagues sans trop de problèmes. Le vent me pousse, me porte vers le large. Je réalise une demi-douzaine d'allers-retours entre le grand large et la plage malgré l'omniprésence de méduses. Autour de moi, cela grouille de ces bêtes infâmes, avides de contacts humains. Je suis terrorisé par les méduses, une phobie latente, une peur pathologique qui me fait déjà imaginer le pire. Cela me motive à ne pas tomber. Surtout ne pas lâcher la voile, surtout ne pas faillir, surtout ne pas faiblir. Pourtant, alors que je tente un énième demi-tour, je m'écroule. Le vent a tourné, bouleversant tous mes repères, perturbant ma position sur la planche. Alors que je remonte précipitamment sur la planche, angoissé à l'idée de me faire piquer par une méduse (cf Le Monde de Némo ou L'année des Méduses), mon annulaire se coince dans la rainure permettant de régler la position du mât. Une douleur terrible se fait ressentir. Ma peau est sectionnée. Le sang coule à flot. Je parviens à remonter ma voile pour reprendre la direction de la plage. Après quelques mètres, j'entrevois un mince filet de sang longer les pores de ma peau et venir s'écraser en une multitudes de petites tâches sanguinolentes. Celles-ci perlent sur la voile, projetées par le vent violent qui souffle dans mon dos. Je sens ma tête qui tourne. Je ferme les yeux et me fixe sur mon objectif : ma serviette rouge étalée sur le sable chaud. Alors que, éperdu par ce funeste accident, je cède la planche à mon frère, un nouveau drame éclate : le pied de mât cède. Sans aucune raison flagrante. L'après-midi, nous sommes donc contraint de faire un nouveau saut à la boutique dont les vendeurs ont désormais du mal à nous sourire. Ils reconnaissent nous avoir vendu un pied de mât pourri, rouillé, fatigué mais nous font néanmoins payer la réparation. Les joies de l'occasion parait-il.
Epilogue


Fort heureusement, avec ce nouveau pied de mât, cette nouvelle voile et ce nouveau flotteur – seul le mât et le wishbone n'ont pas été remplacés dans cette aventure – nous pouvons désormais nous targuer de réussir à faire de la planche à voile sur l'île de Noirmoutier comme en témoignent les superbes photos illustrant cet article.

1 commentaire:

Victor a dit…

Beau résumer d'une tragédie moderne - écrite dans un style classique. Je tien tout de même a préciser que c'est bien la négligence d'Antoine, qui on menait sont frère (moi même) à démolir la belle voile Bic de 5m70. J'ai beaucoup aimé la phrase « l'ambiance entre mon frère et moi est aussi tendue qu'un string » qui illustre bien, avec un brin d'humour la situation.