03 décembre 2008

Coriolan

Qui oserait aller fouler le sol nanterrois un mercredi soir pour voir une pièce de Shakespeare durant plus de quatre heures ? Visiblement pas grand monde vu que, malgré mes quatre invitations, seul Jean-Michel eut le courage de m'accompagner (à grand renfort de pâtisseries excellentes) au Théâtre des Amandiers. Quelle pièce me direz-vous ? Il s'agit de Coriolan, fable politique sur les jeux de pouvoir et les affres de la démocratie dans la Rome antique, un texte qui, vous vous en doutez, impressionne par sa terrible contemporéanité, en témoignent les questions fondamentales qui introduisent la pièce : Comment vivre ensemble malgré les différences et les différents ? La démocratie est le pire des régimes à l'exception des autres ? Faut-il préférer la sécurité à la la liberté, et l'ordre à la justice ? Autant dire que ces questions continuent de nous préoccuper, bien après Coriolan et bien après Shakespeare qui prouve la l'intemporalité de son théâtre et la puissance de son écriture.

Chaque réplique est savamment écrite et le texte n'a pas perdu de sa superbe. Les quatre heures (avec entracte) que durent la pièce passent à une vitesse folle. Et la mise en scène épurée de Christian Schiaretti (ex-directeur de la Comédie de Reims) permet de renforcer l'intensité de certains passages. D'ailleurs, les parties les plus réussies resteront sans doute ces lentes rondes accompagnées de drapeaux rougeoyants qui transforment la salle en un champ de bataille hypnotique. Le seul défaut de cette pièce haletante est lié à un imprévu, Wladimir Yordanoff s'étant blessé la veille de la représentation à laquelle j'ai assisté, il faut bien reconnaître qu'il manquait parfois de coffre, de puissance pour interpréter ce personnage tyrannique. Et au lieu de le haïr pour tout ce qu'il représente, pour tout ce qu'il dit, pour tout ce qu'il est, voilà le spectateur forcé de prendre pitié pour cet homme faible, claudiquant désespérément d'un bout à l'autre de la scène, peinant visiblement à tenir debout malgré ses béquilles. Et mine de rien, c'est une appréciation subjective que l'on ne parvient jamais à s'ôter de la tête et qui modifie grandement l'âme de la pièce, pièce par ailleurs à tout point remarquable.