J'aime le théâtre de Tchekhov, un théâtre bavard et arborant néanmoins un ton mélancolique, voire nostalgique d'une Russie qui n'existe plus. Grave et léger. Souriant et douloureux. Un ton doux-amer qui colle à la peau. Chaque personnage est croqué avec passion, avec délectation. En quelques phrases, le tableau est posé. En quelques répliques, les grandes lignes de la pièce sont établies. Dans La Cerisaie, on retrouve le cocon familial comme dans Les trois soeurs vu à la MC93 l'an dernier. Un cocon disloqué autant que soudé. Et c'est l'âme de la famille que sonde Tchekhov. C'est l'âme humaine qu'il met en exergue dans ses pièces.
Et la mise en scène d'Alain Françon lui rend justice.Tout d'abord, Alain Françon décide de réaliser une copie du décor souhaité par Tchekhov lui-même lorsqu'il monta la pièce à l'époque. Assorti à des costumes d'époque, le choix se révèle évident. Avec un décor simple mais efficace, sans fioriture mais suffisamment réaliste pour situer chaque acte, le spectateur peut se concentrer uniquement sur le texte, sur les mots, sur les phrases, sur les silences, ces pauses – surtout dans le dernier acte – qui donnent une autre dimension à la situation jouée, à ce lent et inexorable délitement d'une bourgeoisie dépassée par l'entrée de la Russie dans la « modernité ».
Impuissants, nous sommes plongés dans la Russie de la fin du 19ème siècle. L'interprétation parfaite permet de se laisser happer dans la pièce. Tous les comédiens (une vingtaine) sont excellents, parfaitement crédibles, toujours justes. Mais mon coup de coeur de la soirée, indéniablement, c'est le rôle de Firs, joué merveilleusement bien par Jean-Paul Roussillon qui lui donne une dimension bien particulière, une profondeur avec seulement quelques phrases et une démarche chaloupée, boitillante, hésitante.Une harmonie complète entre le texte, la mise en scène et l'interprétation qui permet de passer un bon moment au Théâtre de la Colline.