12 février 2011

Un tramway nommé Désir

J’aime Un Tramway nommé Désir. J’aime le film d’Elia Kazan, la fragilité de Vivian Leigh et la puissance refoulée de Marlon Brando. Des deux acteurs émane une rare intensité sexuelle sublimée par la caméra d’Elia Kazan privilégiant les clairs-obscurs éclatants. C’est donc avec une véritable curiosité (mais néanmoins une forte attente) que je suis allé me frotter à la mise en scène de Lee Breuer à la Comédie-Française. La célèbre institution parisienne est fière d’annoncer que c’est la première fois qu’un auteur américain est joué Salle Richelieu. Et quel auteur ! Tennessee Williams est l’un des grands auteurs du XXème siècle dont l’œuvre a été très souvent portée à l’écran comme La nuit de l’iguane de John Huston, Soudain l’été dernier de Joseph Mankiewicz, Propriété Interdite de Sydney Pollack pour ne citer que les fameuses adaptations que j’ai vues.

Malheureusement, la mise en scène nuit à la puissance du texte. Le mouvement perpétuel sur scène (des plateaux, des estampes, des « kurogos »…) finit par lasser. La musique omniprésente, par son aspect folklorique, fait oublier la dureté des échanges et la détresse des personnages. La plupart des choix artistiques opérés au niveau de la mise en scène sont exaspérants. Quid de ce japonisme dans la Nouvelle-Orléans d’après-guerre ? Quid de l’accumulation des effets de fumée, de l’utilisation de micros, de la musique qui recouvre parfois les dialogues ? Quid de l’illustration récurrente des émotions des personnages ou de leurs actions sur les estampes ? Quid de cette apparition d’Eric Ruf déguisé en Joker, tout droit sorti de The Dark Knight ? Tous ces artifices (plus proches du langage cinématographique que du théâtre) conduisent à une réelle distanciation et à un ennui latent.

Au niveau de l’interprétation, la Comédie-Française peine à égaler l’Actor’s Studio d’Elia Kazan. Eric Ruf, que j’aime pourtant inconditionnellement, est ridicule du début à la fin en Stanley Kowalski. Il se trémousse, il se contorsionne, il émet des gorgorismes malvenus et ne parvient pas à dégager une virilité brute, une bestialité à peine contrôlée proche de celle de Marlon Brando. Anne Kessler est parvenue pendant la première moitié de la pièce à me tenir en haleine, à jouer avec l’ambiguïté nécessaire le personnage de Blanche Dubois. Malheureusement, après l’entracte, alors que le rôle se complexifie davantage, elle vire dans l’excentricité facile au fur et à mesure que la folie s’empare de son personnage. Seul Grégory Gadebois est excellent, jouant avec fragilité et sincérité un Mitch touchant de bout en bout.

La pièce est parfois entrecoupée d’instants vraiment brillants, dans lesquels Eric Ruf et Anne Kessler parviennent à donner le meilleur d’eux-mêmes mais, d’une manière générale, ce Tramway n’insuffle aucun désir. C’est prétentieux, raté et froid et non passionné et charnel comme le texte pouvait y prétendre.

2 commentaires:

Antoine a dit…

A la décharge d'Eric Ruf, quel acteur du Français aurait pu jouer un meilleur Stanley Kowalski ? Denis Podalydès ? Michel Vuillermoz ? Guillaume Gallienne ? Laurent Stocker ? C'est la Comédie-Française dans son ensemble qui pèche par son manque d'acteurs à la fois charismatiques et virils ! :(

Anonyme a dit…

Je n'ai pas trouvé le jeu des acteurs détestable. Je n'ai peut-être pas su percevoir l'essoufflement d'Anne Kessler, mais je tiens à sauver Eric Ruf des eaux. Il a su épurer son jeu aux moments opportuns, faisant pardonner ainsi son blouson en cuir au motif de dragon, tout droit sorti d'un stand de puces des années 1980, soulignant grossièrement la marginalité du personnage. Les intermèdes musicaux sont réussis, et bien plus dans le ton "New Orleans" que les estampes japonaises, cela va de soit. Mais l'esthétique japonisante est peut-être là pour nous contraindre à faire abstraction de la référence au film d'Elia Kazan. Les "kurogos" - ces marionnettistes invisibles - ne sont pas totalement hors-sujet car cette référence donne du sens à la mise en scène. Celle-ci tend en effet vers l'art cinématographique (est-ce un mal ou un bien ?). Elle conduit à une distanciation peut-être, à l'ennui sûrement pas. Cette suite effrénée de tableaux n'oblitère pas la chaleur moite de la Louisiane, le charme et la vulnérabilité de Blanche, et la danse de matador effectuée par Stanley. Les artifices sont plus discrets lorsqu'il s'agit de nous laisser apprécier quelques moments de grâce mettant aux prises les duos Blanche/Stanley et Blanche/Mitch.

Simon