01 juin 2008

Forêts

Pièce fleuve durant plus de quatre heures, Forêts de Wadji Mouawad nous plonge dans le passé familial d'une jeune québécoise enquêtant sur la mort de sa mère. Remontant le fil du temps comme autant de branches d'un arbre généalogique, la voilà qui découvre des détails abracadabrantesques sur la vie – et la mort, et la folie - de ses aînées. Une plongée dans l'histoire d'une famille peu commune - pour ne pas dire complètement dégénérée - de 1870 à 2006. Brassant une large palette de thèmes : la filiation, l'échec des utopies, l'inceste, la vie, la mort, l'amitié, la recherche d'identité, le changement d'identité, Wadji Mouawad parvient à nous envoûter sur la longueur et à nous faire oublier la durée de la pièce. Même si la première moitié est un peu chaotique et difficile à suivre compte tenu d'une absence totale de linéarité et la difficulté à mettre en place les motivations de la quête du soi qui passe par la quête de l'autre, la seconde moitié parvient à captiver du début à la fin sans la moindre baisse d'attention. La résolution du mystère (un « os » dans la tête, un « foetus » dans la tête ?) passe par la découverte de nouvelles anecdotes plus délirantes ou tragiques les unes que les autres. De l'entrée dans l'ère industrielle d'une famille alsacienne à la résistance pendant la seconde guerre mondiale aidant les aviateurs étrangers à atterrir, en passant par la vie sauvage et coupée du monde dans la forêt des Ardennes que vient troubler la première guerre mondiale, la pièce revient sur les temps forts de l'histoire de l'Europe – abordant notamment la question juive - avant de traverser l'Atlantique pour s'installer au Québec où vit Wadji Mouawad.La modernité de la mise en scène ne peut que séduire les sceptiques. Corps nus mouvants sur la scène, jeu de lumière efficace, décors malléables, pluie vaporisée sur la scène, accouchements symboliques, pétales de fleurs déversés, musique omniprésente, autant de « trucs » qui font de chaque scène un nouvel émerveillement. Sans oublier d'importants clins d'oeil au cinéma notamment dans la scène qui fait office d'introduction, dans la mise en bouche hilarante qui place la barre très très haut et qui explique peut-être la déception ressentie par certains. La pièce est en quelque sorte le pendant psychologique – psychiatrique ? – au très politique Nos Meilleures Années de Marco Tullio Giordana. Au milieu de ce délire scénique et théâtral (d'un point de vue strictement littéraire, la pièce est un chef d'oeuvre, chaque réplique est cisaillée, fait mouche, tombe juste...), les acteurs sont absolument sidérants, jouant plusieurs rôles, tantôt avec un accent québécois et tantôt avec un accent français, faisant vivre des personnages aussi étranges qu'attachants à travers le temps et l'espace.Une reprise judicieuse du Théâtre 71 de Malakoff qu'il m'a été permis de voir grâce à des invitations Télérama.