06 août 2008

La CNHI et l'art contemporain

Barthélémy Toguo

La Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration (CNHI) n'est décidément pas un musée comme un autre. Sa collection permanente se situe aux confluents de différentes disciplines à grands renforts de témoignages mais aussi de supports scientifiques et artistiques destinés à valoriser la dimension humaine de l’immigration. Des choix artistiques résolument tournés vers l'art contemporain.

Une collection en formation.

La CNHI a ouvert il y a un peu plus d'un an. Elle présente la particularité d'être un musée national sans collection préexistante. Conformément au rapport de la Mission de préfiguration, le musée a opté pour le croisement des regards. Trois axes principaux ont finalement été adoptés par les conservateurs du musée. Le regard historique, s'appuyant sur des faits avérés, des travaux d'historiens et des documents issus des archives, permet une contextualisation de deux cents ans d'immigration en France. Le regard anthropologique, quant à lui, s'appuie sur des faits contemporains observés pour retourner dans le passé et pour analyser les évolutions de l'identité des migrants. Le regard artistique, en proposant une interprétation esthétique subjective – voire émotionnelle – du fait migratoire, offre une autre piste de lecture. Le contexte socio-historique se trouve ainsi associé aux parcours de vie singuliers et aux interprétations artistiques afin de placer le visiteur dans une situation de questionnement.

En décidant d'introduire officiellement la création artistique, y compris la plus contemporaine, dans ce musée d'histoire, les conservateurs partent du postulat audacieux que l'art a sa place dans un lieu d'histoire comme l'histoire est nécessaire dans un musée des Beaux-Arts. En optant pour des acquisitions d'art contemporain, la Cité affirme sa volonté de constituer des collections de référence sur ce sujet. En tentant de privilégier une approche artistique de l'immigration, la CNHI a pris conscience que les problématiques de l’immigration, du territoire, des frontières et des racines sont aujourd’hui au coeur de la démarche d’un grand nombre d’artistes, connus, reconnus ou inconnus, français ou étrangers, résidant et travaillant en France. La Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration souhaite étudier cette production et constituer progressivement une collection qui soit significative de ce phénomène. Bien entendu, les collections, comme le parcours lui-même, sont en perpétuelle transformation et vont s'enrichir au fur et à mesure. C'est pourquoi il est intéressant de s'interroger sur la portée que peut avoir la mise en scène de deux cents ans d’histoire individuelle et collective des migrations en France en la mettant face à la création contemporaine.

Une manière de faire parler le réel.

L'art contemporain constitue l'un des axes principaux des collections du futur musée de la Cité. Cette approche plastique doit éveiller la sensibilité et l'attention du spectateur sur les questions soulevées par l'histoire de l'immigration en France. Dans la mesure où l'art contemporain se trouve à la limite qui sépare le documentaire de la fiction, celui-ci peut se révéler être une bonne entrée en matière dans un musée d'Histoire. C'est en jouant sur cette frontière floue entre oeuvre d'art et document d'histoire que les conservateurs ont décidé de réunir des oeuvres autour de thématiques propres au sujet : frontières, exil, territoires, langues, départ et voyage, questionnement identitaire et autres réflexions concernant l'immigration et l'incidence de celle-ci sur la société française.

Ainsi, l’art contemporain offre aux visiteurs du musée de la Cité une double perception, celle de l’œuvre fictionnelle, forte de sa charge émotionnelle, et celle d’une mise en perspective quasi documentaire du phénomène de l’immigration comme l'illustre particulièrement les photographies de Bruno Serralongue montrant les manifestations de sans-papiers place du Châtelet. Par ailleurs, certaines photographies présentées tout au long du parcours atteignent une valeur symbolique – métaphorique presque - qui rend l'explication superflue. Ainsi les photographies de Thomas Mailaender, les Voitures Cathédrales, qui transforment en volumes improbables des voitures chargées de valise, de sacs, de produits manufacturés, appartiennent bien évidemment au registre artistique et possèdent une fonction documentaire indéniable par rapport au propos du musée. C'est un travail artistique à la fois politique et esthétique.

Un autre regard sur l'immigration.

Impossible de mettre sur le même plan le travail d'un artiste et le travail d'un scientifique. Il n'y a pas lieu de penser que l'oeuvre d'un artiste contemporain offre une vérité ou un message plus important que celui de l'historien, du sociologue ou de l'ethnologue. Pourtant, l'oeuvre d'art, dans sa diversité formelle – photographie, vidéo, installation, sculpture, écriture – et surtout dans sa polysémie, permet d'introduire une vision supplémentaire. Elle est une expression, un regard particulier et subjectif sur l'immigration en France. Ainsi, loin de la vision socio-économique habituelle, les conservateurs ont opté pour une démarche visant à mettre en avant les différences culturelles et les problèmes de communication et d'identité culturelle que peuvent rencontrer les migrants. C'est ici que l'artiste a un rôle à jouer. D'ailleurs, les travaux de Zineb Sedira sont particulièrement utiles pour comprendre ce thème de l'identité multiple.

D'une manière générale, les artistes proposent une manière de voir et suggèrent une autre façon d'appréhender le fait migratoire comme en témoignent certaines oeuvres au coeur d'une démarche historiographique, artistique et politique fortement autobiographique. Ainsi, l'installation Correspondance de Kader Attia, composée de deux vidéos et de trente photographies accrochées à une corde à l'aide pinces à linge ou posées par terre, construit une sorte de toile illustrant la vie de familles séparées. L'artiste crée un pont entre deux continents et implicitement, apporte un témoignage sur le fossé qui sépare les deux mondes où s'opposent une profusion de produits de consommation d'une part et un environnement rudimentaire par ailleurs. Dans un autre style, l'installation Climbing Down – littéralement « escalader vers le bas » – de l'artiste Barthélémy Toguo fait directement référence aux foyers d'immigrants. Ici, les six lits superposés auxquels sont accrochés une quarantaine de sacs multicolores évoquent, non sans humour, les notions d'arrachement et de logement précaire.

Finalement, aborder le fait migratoire par le biais de l'art contemporain, c'est envisager un autre type de langage. Et le pari semble réussi pour les conservateurs de la CNHI. Cet axe original et unique touche de nombreuses personnes se reconnaissant dans ces clichés, saluant le réalisme d'une telle production artistique qui parvient à allier message politique et lyrisme esthétique. L'art contemporain parvient à interpeller, à poser des questions, à proposer une relecture de l'immigration en France. En proposant ces visions complémentaires, le musée de la CNHI permet d'aider à mieux comprendre toutes les facettes d'un processus historique et culturel complexe à la fois ancré dans le temps et encore en mouvement.

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