05 août 2008

Le grillon

Un soir, assez tard, alors que la nuit noire entoure déjà la masse sombre de la maison depuis quelques heures, un cri angoissant vient troubler ma quiétude. Je suis alors en train de regarder Comment je me suis disputé... ma vie sexuelle d'Arnaud Desplechin. Rapidement, je me rends compte que ce bruit ne peut être émis par mon ordinateur. Je soupçonne alors un oiseau de s'être infiltré dans ma chambre pendant l'après-midi et d'être désormais coincé. Je me lève, allume la lumière et observe autour de moi d'où peut émaner ce son pour le moins pétrifiant si ce n'est dérangeant. J'ai la conviction profonde qu'il vient de l'étagère sur laquelle sont entassés des dizaines d'ouvrages appartenant à mon oncle. Je la secoue légèrement, espérant ainsi obtenir une réaction de mon ennemi désormais muet. Le silence se fait pesant dans la petite pièce. Je sors dehors, après avoir préalablement allumé la lumière du jardin. Parfois, le pas des oiseaux sur les tuiles résonne dans toute la maison. Peut-être suis-je victime d'une bizarrerie phonique du même acabit. A première vue, aucune âme animale ne vit sur le toit légèrement pentu. Je grimpe sur une chaise pour m'en assurer. Rien à signaler. Visiblement, le tumulte incommodant vient de l'intérieur. Je retourne dans ma chambre espérant que la bête en ait profité pour s'échapper. Malheureusement, en rentrant, une surprise m'attend : une énorme araignée aux longues pattes velues, une "Maïtika" version vendéenne. Je prends mon courage/une Converse à deux mains et tente d'écraser la bête sur le mur blanc. Par deux fois je la manque. L'arachnide se glisse derrière un meuble et je dois renoncer à l'abattre, à faire gicler son sang aux quatre coins de la pièce. N'entendant plus aucun bruit dans la pièce exigüe, j'éteins à nouveau la lumière et me replonge dans mon film génial. Mais trente minutes plus tard, l'atroce rugissement déplaisant arrive encore jusque mes oreilles. Je laisse la chose mystérieuse s'époumoner quelques temps mais rien ne semble la faire taire. J'allume alors ma lampe de chevet. Instantanément, le cri s'arrête. Il devient évident qu'une bestiole s'est laissée enfermer dans mon antre. Pourtant, celle-ci reste introuvable. A la fin de mon film, après une dernière tentative d'élimination de mon ennemi tapageur, je plonge dans un profond sommeil. Une heure plus tard, je suis réveillé par le même appel au secours de ma victime désormais devenue mon bourreau. Je me lève, déplace quelques livres mais rien ne semble bouger autour de moi. Je tente de me rendormir mais, dès que la pièce est plongée dans le noir, la sinistre exhortation reprend de plus belle. Je me résous à laisser ma lampe de chevet allumée, décision qui m'autorisera quelques heures de répit avant que le bruit vienne à nouveau perturber mon repos salvateur. Une boule de nerf se forme dans mon ventre. Je m'imagine déjà quittant ma chambre, chassé par l'iconoclaste animal, pour aller coucher dans le garage. Pour me détendre, je lis quelques poèmes d'amour de Paul Eluard. L'insecte irrespectueux semble charmé par ma voix énonçant nonchalamment ces vers magnifiques :

Je t'aime j'ai dans les vertèbres
L'émancipation des ténèbres.

Alors que le calme semble revenu, l'interstice des volets laisse filtrer les premiers rayons du soleil. Je me rendors pour quelques heures.

Cette histoire ne connut son dénouement que le lendemain soir pendant que je regardais - pour la deuxième ou troisième fois – le formidable Rois&Reine du même Desplechin, à croire que ce dernier ne trouve grâce aux yeux/oreilles de mon ennemi animal/animal ennemi. Pris d'une colère soudaine contre cette bête immonde qui cherchait à souiller de sa plainte lancinante les plus belles répliques du cinéma français de ces dernières années, je me décide à en finir une bonne fois pour toutes. C'est alors qu'en soulevant un vieux bout de bois mort, je l'aperçois. Petit, apodictique, campé sur ses quatre pattes. Trônant comme un roi sur de vieilles éditions de Balzac ou Flaubert. Cette vile créature tente de se sauver mais je suis le plus rapide. Je l'écrase sans arrière-pensée, heureux de me débarrasser de cette sale bête qui avait osé troubler ma nuit précédente. Elle a la forme d'un grillon, l'apparence d'un grillon, le chant d'un grillon ; c'est un grillon. Jamais je n'aurais imaginé qu'une telle bête puisse émettre un bruit aussi assourdissant et agaçant pendant si longtemps. L'année prochaine, pour éviter d'avoir à raconter ce genre d'anecdotes sur mon blog, je passerai mes vacances au Crillon.

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