21 janvier 2011

OPA

 Pietro Longhi

Depuis presque cinq ans, je faisais régulièrement des inventaires pour une société spécialisée dans les pharmacies. Pendant plusieurs heures, plusieurs fois par mois, je me voyais contraint de compter et scanner des boites de médicaments, préservatifs et autres produits de beauté dont sont friands ces épiciers morbides. J’étais le dernier maillon du tentaculaire empire pharmaceutique, empire vicié en amont (les laboratoires) comme en aval (les pharmaciens) dont les récents scandales ne sont que la partie visible d’une escroquerie planétaire qui nous dépasse complètement. Mettant mes principes de côté pour quelques euros d’argent de poche (sous couvert de dénoncer le système de l’intérieur sur ce blog), j’étais presque heureux de retrouver l’équipe des inventoristes avec qui je travaillais depuis plusieurs années lors de ces sessions régulières - le plaisir était évidemment moindre lorsque l’inventaire durait 18h de suite ! - malgré les douleurs dorsales auxquelles j'échappais rarement.

Grande a été ma surprise lorsque j’appris il y a quelques jours que la modeste petite société lyvriennes qui me faisait travailler depuis 5 ans venait d’être revendue à un magnat de l’inventaire en pharmacie. Nouveau patron, nouvelle organisation, nouvelles méthodes de travail, je vivais à ma petite échelle ce que vivent les salariés lors d’une OPA ou du rachat d’une entreprise, ressenti si souvent étudié en Gestion des Ressources Humaines sans que je puisse vraiment comprendre ce dont il s’agissait.

Désormais, je peux mettre des sentiments, des sensations sur cette dure épreuve que connaissent nombre de salariés. Une OPA ruine toute la relation de confiance bâtie au fil du temps, il faut désormais tout reconstruire avec les nouveaux responsables. C’est également un changement radical dans les habitudes de travail, ce qui nécessite de nombreux efforts pour s’y adapter. Or, après cinq années de « mauvaises » habitudes, il est difficile d’intégrer de nouvelles consignes, surtout quand celles-ci paraissent aberrantes.

Du coup, c’est la frustration et la lassitude qui m’ont rapidement gagné lors des derniers inventaires et l’envie de continuer - en faisant preuve de patience et en déployant des efforts aux effets incertains - m’a peu à peu quitté. Je tire donc un trait sur ces cinq années de bons et loyaux services et peux désormais affirmer que la pharmacologie m’a brisé moralement après m’avoir brisé physiquement pendant cinq ans, un ultime méfait à ajouter à la liste déjà longue des crimes perpétrés par l’industrie pharmaceutique.

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