Emsdetten, un nom gravé dans la mémoire collective allemande. Le 20 novembre 2006, avant de passer à l’acte et de blesser ou tuer de nombreux élèves et professeurs de son ancien lycée, Sebastian Bosse, alors âgé de 18 ans, avait annoncé sur Internet sa volonté de se suicider de manière spectaculaire. Lars Norén, radical auteur de théâtre suédois né en 1944, s'est plongé dans le blog du tueur pour écrire un monologue poignant explorant, comme la plupart de ses œuvres, la face obscure du monde, sa brutalité, la solitude et la folie. Il s’interroge sans avoir de grille d’analyse et se demande comment une société comme la nôtre peut engendrer ce genre d'acte désespéré, ce genre d'individu inadapté.
C'est à ce texte sombre et dur, teinté d’une parole brute à travers laquelle éclate haine et souffrance, que Cécile Cassel donne vie au Théâtre de la Madelaine. Dés le début, l'affaire est réglée. Il va se passer un drame "Le 20 novembre", dans une heure et 12 minutes. Jérémie Lippmann met parfaitement en scène cet exercice de nihilisme contemporain avec une occupation totale de la scène et de la salle. Devant nous, Cécile Cassel dégage une vraie violence refoulée, passant du désespoir à la révolte, de la honte à la haine. Elle maitrise son texte à la perfection, hurlant à la face du monde sa vraie nature. Seule, en guerre totale contre tout et tous, avec seulement quelques accords de guitare accordés/désaccordés de The Honky Tonk Man pour adoucir/briser l'atmosphère, la comédienne donne une performance impressionnante.
Remplie d'une haine inaltérable et vivant une solitude infinie, elle déballe ses griefs comme des munitions dont elle remplie ses armes. Au milieu du public elle prépare l'acte final, sans sciller, avec une froideur tempérée, une conviction magistrale. Nul ne saurait l'interrompre. Elle parle par phrases courtes et violentes, le ton posé, avec une détermination absolue. Le texte est toujours confrontant pour le public appelé à faire partie du spectacle. Le jeune adolescent révolté qu'elle incarne s’adresse directement aux spectateurs. Cela suscite un mélange d’inconfort et de compassion. Comme spectateur, nous sommes constamment tiraillé, séduit par moment par la lucidité de son analyse, contrit par la fragilité du personnage et rebuté la plupart du temps par ses propos insoutenables.
Sebastian Bosse, le tueur complexe et paradoxal, devient à la fois bourreau et victime, fragile et violent, lucide et désespéré. Il rejette la société de consommation à l'origine des inégalités sociales et de la frustration. Il expose son dégoût du système scolaire générateur de compétition et de souffrances pour les enfants. Il se défend à plusieurs reprises d'être un nazi mais tient des propos d'un racisme exacerbé montrant la confusion de son esprit. Il exprime son incapacité à vivre dans ce monde en soulevant des questions, en mettant chacun face à ses responsabilités. Personne n'est innocent, l'acte qu'il va accomplir est le constat terrible de nos échecs, de nos coupables lâchetés, d’un monde que nous sommes tous responsables d’avoir laissé devenir froid et dur comme le canon d’un revolver. Il a appris à l'école qu'il était un perdant et il tient à se venger en tuant et en se tuant : « Si je n’arrive pas à trouver un sens à la vie, je vais de toute façon trouver un sens à la mort ».
La pièce laisse un goût amer bien après la représentation. Comme si les dysfonctionnements bien connus d’une société en perdition prenaient corps sur scène. La mise en scène ne laisse aucune échappatoire au spectateur, qui doit affronter la réalité. C'est profondément troublant, dérangeant, et absolument captivant.
3 commentaires:
Tu es sûr que tu n'aurais pas préféré Cendrillon que je te proposais le même soir?...
Mais tu ne m'as rien proposé du tout ! Ce n'est pas la première fois que tu penses m'avoir invité alors que non... ;)
Et je ne regrette rien, le texte était passionnant et l'interprétation parfaite ! :)
Mais si que je t'avais proposé! Mais quand tu m'as décrit ton enthousiasme pour cette pièce de Lars Noren, je n'ai pas insisté!!! Bon, sinon Ferrara, c'est bon! Mais je t'envoie un mail pour te confirmer!
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