12 décembre 2006

Daddy

Jean Rustin

Ses doigts s'approchent de mon sexe… J'ai eu mes premières règles il y a quelques jours… Cela ne semble pas le repousser… Au contraire, il semble plus entreprenant que jamais… Ses doigts glissent le long de mes lèvres… Il me regarde dans les yeux… Je n'arrive pas à soutenir son regard… Je me sens coupable… Je laisse échapper un petit gémissement… Son doigt vient de me pénétrer… Un doigt, puis un deuxième… Il fait un rapide va-et-vient pendant quelques minutes… Il prend ma main… La pose sur son pantalon au niveau de son sexe… Il est dur… Son sexe est dur… Sa forme se dessine parfaitement le long de sa cuisse… Je n'ai que 13 ans… Je jette un regard sur la bague qu'il porte à l'annulaire… Comment ma mère a-t-elle pu l'épouser ? Comment a-t-elle pu l'aimer ? Je suis sûr qu'elle sait… Depuis le début elle est au courant… Elle préfère laisser faire, étouffer le scandale, éviter la mauvaise publicité… Cela fait mauvais genre un mari pédophile, un époux incestueux… Alors elle ne dit rien… Elle fait semblant de dormir… Mon bourreau a le champ libre… Mon tortionnaire a sa bénédiction, sa tacite approbation… Il ne s'en prive pas… Deux fois, trois fois par semaine, il vient me réveiller… Toujours le même rituel… Les bisous dans le cou, sur les oreilles, sur le nez… Il sent l'excitation monter… Quelques mots doux… Ma puce ! Ma chérie ! Ma douce ! Et puis ses doigts, ses gros doigts rugueux, ses gros doigts velus… Il ne m'a jamais pénétré avec son sexe… D'ailleurs, je ne l'ai jamais vu, jamais branlé, jamais touché… Tous les soirs, il vient, il voit, il jouit... Ça ne va pas plus loin... Mon père est le seul maître à bord… Je suis son jouet… Il m'a élevé pour ça… pour pouvoir me voir grandir… Je me souviens encore quand mes seins ont commencé à naître… Il exultait… Il sentait que son heure approchait… Cela faisait douze ans qu'il attendait ce moment… Douze ans qu'il rêvait de me toucher sans oser franchir le pas… Je n'étais qu'une petite fille… Maintenant je suis une petite femme… Il peut me toucher, déchirer mon hymen avec ses gros doigts sales… Il me répugne… Il me débecte… En même temps, je ne peux m'empêcher de l'aimer…

J'aimerais en parler à quelqu'un mais qui ? A Sonia ? A Fanny ? Elles ne comprendraient pas… Il faut avoir vécu ce genre de choses pour pouvoir saisir l'ampleur du drame, comprendre la honte que je ressens, partager ma peine et mes doutes… Car je doute… Je doute de moi… Je doute de lui… Je doute de ma mère… Je doute de mes amies… J'aimerais que tout s'arrête… Que tout redevienne comme avant… Avant que mes seins ne poussent… Mon père était affable, aimable et courtois… Il faisait des blagues, il jouait aux poupées avec moi, il m'emmenait faire du vélo… Je crois que je l'aimais… J'aime me souvenirs de nos vacances au bord de la mer, de nos week-ends à la campagne… On courrait, on criait, on nageait… Maman nous regardait… Elle était belle et son regard était bienveillant… Et puis il y eut l'accident… Il a plongé dans le lac… Je l'ai suivi… J'ai sauté… Droite comme un I… Les pieds en premier… Il n'y avait pas suffisamment de fond… J'ai hurlé… Mes jambes ont craqué, les os uns à uns ont explosé, le cartilage s'est brisé… J'ai pleuré… Je ne me souviens pas de ce qu'il s'est passé après… Quand j'ai repris connaissance, j'étais paralysée des deux jambes… Comme ça, d'un coup… Le fauteuil roulant à vie… pour toujours… Les médecins m'ont dit que j'avais eu de la chance… Que si j'avais sauté la tête la première je serais morte… J'aurais préféré mourir… Ce ne sont pas eux que les gros doigts de mon père pénètrent en silence la nuit…

Il continue mécaniquement… Il vient d'enfoncer un troisième doigt dans ma chair… J'aimerais crier… J'aimerais évacuer cette tension qui est en moi… J'aimerais expulser cette haine qui me ronge… J'ai la rage… La rage contre mon père, la rage contre ma mère… Cette salope ! Elle ne pense qu'à elle… Pendant ce temps là il ne la tripote pas… Je suis sûr que c'est ce à quoi elle est en train de penser… Connasse ! Je pensais que j'étais ce qu'elle avait de plus chère… Qu'elle m'aimait… Son amour s'est envolé le jour où mes jambes se sont figées… Je lui fais honte… Avant elle m'emmenait au théâtre, à l'opéra, à des cocktails… Maintenant elle me cache… Quand ses amies viennent boire le thé à la maison, elle me prie de rester dans ma chambre… Parfois même elle m'enferme… Je ne sais pas ce que dirait papa s'il savait… Je crois qu'il m'aime quand même… C'est un monstre mais il m'aime… C'est dur… Le Bien, le Mal… La frontière est floue…

Il agite ses gros doigts en moi… Je sens qu'il vient… Le voilà qui prépare son mouchoir, le mouchoir dans lequel il va pouvoir évacuer sa semence… Je n'ai jamais vu sa bite, je n'ai jamais vu son sperme… Il viole mon intimité mais il protège ma vertu… Il est étrange… Malgré ce qu'il me fait subir, je suis incapable de lui en vouloir… C'est ma mère la responsable… C'est ma mère que j'abhorre… Mon père est un monstre fascinant… Mon père est un salaud séduisant… Je l'aime et je le déteste… Ma mère je la hais… C'est une mégère répugnante… Elle cache bien son jeu… Je laisse échapper un soupir… Un soupir d'agacement… Un soupir de plaisir… Parfois je ne sais pas… Je ne me comprends pas… J'aime quand il me caresse… Comment peut-on aimer se faire abuser ? Je ne dois pas être normale… C'est inconcevable… Rien que penser à ses gros doigts me répugne mais le moment venu je me laisse faire… sans résistance… Comme si j'avais besoin de ces frôlements… Je suis sûre que si je fermais les yeux, que je me laissais aller, je pourrais jouir de ses effleurements… Ma mère, elle, ne m'a jamais touché… Même quand j'étais petite… Elle ne m'a jamais donné le sein, jamais donné le bain, jamais changé mes couches… Maudite soit-elle !

Le soir quand il quitte ma chambre, je prie… Je récite des patenôtres… C'est stupide de réciter des "notre père" pour oublier que son père est un salaud… Mais ça me soulage… Je me sens moins seule… Cela me réconforte… Je sais qu'il y a quelqu'un en haut qui m'entend et qui m'écoute… Le voilà qui essuie ses doigts pleins de foutre sur le mouchoir en papier… Dans quelques minutes il disparaîtra comme il est venu : discrètement et silencieusement... Il n'ose même pas me regarder... Aurait-il honte de ce qu'il me fait subir ? Se sent-il coupable ? Peut-il seulement avoir des arrières-pensées ? Je ne sais pas... Je ne crois pas... Difficile d'imaginer cet être immoral avec une âme, avec des remords... Connaît-il le sens du mot contrition ? Je l'ai découvert par hasard en feuilletant mon dictionnaire de poche... La contrition c'est le regret sincère d'avoir commis un pêché, d'avoir offensé Dieu... Dieu ? La religion ? Comment puis-je encore croire à un Dieu bon et généreux après ce qui m'est arrivé ? Il y a des jours où j'aimerais tellement mourir, en finir avec la vie, en finir avec cette vie...

Le voilà qui se lève... Comme d'habitude il ne prononce pas un mot... Mes yeux l'assassinent... Il ne le voit pas mais je le regarde fixement dans l'obscurité... Il ne le voit pas mais je le regarde fielleusement dans l'obscurité... Seules ses dents blanches transpercent le noir qui règne dans la pièce... Je n'en peux plus... Ce soir est le soir de trop... J'explose... Ce soir est la dernière fois qu'il me touche... Je me consume d'impatience... Ce soir était son dernier soir... Je soulève mon oreiller... Je saisis le couteau de cuisine... Je bondis de sous ma couette... Je traîne mes deux jambes endormies jusqu'à lui... Je le toise du regard... Il recule... Il vacille... Il tente de me raisonner... Je n'entends pas ses paroles mielleuses... Je ne veux plus entendre le venin qui sort de sa bouche... Il n'est plus mon père... Il est un homme, un homme mauvais, un homme qui a abusé de moi... Le couteau s'enfonce dans son genou... Le couteau pénètre son mollet... Le couteau éventre son pied... Il ne crie même pas... Un râle sort de sa bouche chaque fois que le couteau transperce sa chair... Il est surpris... Il ne s'attendait pas à ça... Je continue... J'aime ça... J'en tire une macabre satisfaction... J'aimerais tellement avoir des jambes pour pouvoir continuer de lacérer son corps... Le ventre... La gorge... La hanche... Le coeur...

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