18 février 2008

Rothkostory

Il y a quelques semaines, j'ai publié mon article sur mon séjour à Amsterdam. Je n'en suis pas content. Je le trouve plat et insipide. C'est pourquoi, ce soir, j'ai décidé de vous offrir deux petites anecdotes que mes amis connaissent déjà. Je ne me lasse pas de les raconter de vive-voix mais il était temps que je les couche sur le papier, le tout illuminé par des toiles de Mark Rothko.


Le deuxième soir, je traîne de force Anaël dans un coffee-shop. Il résiste un premier temps mais je ne lâche rien. Je suis venu pour fumer et j'ai bien l'intention de le faire le plus rapidement possible. Après avoir tourné une bonne dizaine de minutes à la recherche du coffee-shop idéal, je finis par opter pour un établissement donnant sur une magnifique petite église. Dieu doit savoir que je ne suis pas responsable de ce qui va m'arriver par la suite. Je commande donc un coca et un joint. L'allume à l'aide d'une bougie et commence alors la rédaction de quelques cartes postales. Je sens le poison montait progressivement dans mon cerveau. Je peine à écrire correctement. Les lettres se font et se défont et je ne contrôle plus rien. Cela fait presque six mois que je n'ai pas tiré une seule latte sur un petit cône plein d'herbe et de tabac. L'effet est immédiat. Traître même. Je tire encore une fois et boit une gorgée de coca dans la foulée. Je parle à Anaël. Je dis n'importe quoi. Mon cerveau fonctionne au ralenti. Même des psychotropes pour étalon ne m'aurait pas casser de la sorte. Je souris. Je ris. Au bout de trente minutes, Anaël a déjà écrit une bonne dizaine de cartes alors que je peine à boucler la troisième. Je dis des choses incompréhensibles. D'ailleurs Anaël ne me comprends pas. Il a l'air de se faire royalement chier. Intérieurement, je le plains. Mais ça ne m'empêche pas d'aspirer une nouvelle bouffée. Je la sens descendre jusqu'aux poumons. Puis prendre le contrôle de mon corps. Des tremblements dans les bras. Des frissonnements dans les jambes. Et je continue de parler. Et puis d'un coup, j'ai un flash. Une idée horrible qui ne me lâche plus. Une révélation. Une certitude que je ne parviens pas à faire taire : Anaël est sourd ! Il est sourd depuis toujours. Il n'a jamais voulu me le dire. Il me l'a caché depuis des années. Il essaye de vivre avec cette tare tant bien que mal, s'accommodant de son triste sort. Dans ma tête, je me repasse des images des premiers jours. Des discussions que l'on a pu avoir. Je compte le nombre de fois où il ne m'a pas répondu, ignoré mes questions, négligé mes blagues. Je suis convaincu de ma théorie. Je l'étaye d'exemples plus anciens. Je creuse dans ma mémoire à la recherche de la situation qui absoudrait ma théorie, qui confirmerait ma thèse. Je me vois déjà en train d'expliquer ma terrible découvertes à nos amies communes. J'imagine leurs visages déconfis, leurs expressions de tristesse mêlées à de la colère. Et je teste Anaël. Je l'examine sous toutes les coutures. Je parle doucement pour voir sa réaction. Je ne bouge que mes lèvres, cherchant à lire dans son regard la preuve de son mensonge, la garantie de son infirmité. Je continue de tirer quelques lattes. Comme si à chaque bouffée, à chaque rejet de fumée je m'approchais de son secret. Je veux tirer les choses au clair. Atteindre la vérité universelle. La Vérité. Pourtant mon cerveau balbutie. Un brouillard tenace brouille mes sens. Je le vois remuer la tête au rythme de la musique, assis en face de moi. Pourtant je ne peux m'empêcher de le trouver en décalage. Il est évident qu'il n'est pas en rythme, qu'il simule. Je bouillonne. Mon coeur bat à toute vitesse. Les pulsations s'enflamment. Il est là devant moi et je n'arrive plus à parler, terrassé par ce que je crois savoir. Je finis par éteindre mon joint. Je me sens bête mais, instinctivement, je sais que j'ai raison. Je ne sais pas comment lui dire. Je ne sais pas comment aborder le sujet. Je veux lui montrer que j'ai compris, l'amener à se découvrir, à se confier. J'attends qu'il m'explique. Mais rien ne vient. Je désespère. Je lui propose de rentrer. Je le sens soulagé. Se sent-il démasqué ? A-t'il craint que son secret soit découvert ?


Dernier soir. Je suis fatigué. On a mangé très tôt ; 18h30, comme à l'hôpital. Un wok, une sorte de fast-food thaïlandais. Je n'en avais jamais vu en France (mais j'y mangerais un midi à Strasbourg la semaine suivante...) et c'est donc avec surprise que je me suis laissé séduire par cette nouvelle forme de restauration rapide, sur place ou à emporter. Après ce dîner, on s'est promenés dans la ville. J'ai tiré quelques lattes sur la fin d'un joint, précieusement gardé. Et puis, vers dix heures, nous rentrons nous coucher. Je suis harassé, épuisé, courbaturé. Je lis quelques pages de mon livre et finit par m'endormir. A deux heures du matin, je suis réveillé par un bruit atroce, un ronflement caverneux qui résonne entre les quatre murs de la petite chambre. Je reprends petit à petit mes esprits. Dans les lits superposés en face de moi, deux anglais rigolent bruyamment. Eux non plus n'arrivent pas à trouver le sommeil. Ils jettent des objets, voire même leurs chaussures, sur le "monstre" qui nous empêchent de dormir. Même un buffle asthmatique atteint d'une malformation congénitale ne serait pas aussi incommodant. Les minutes s'écoulent. Puis les heures. Anaël ne dort pas. On bavarde, rigole, tente de faire passer le temps. J'essaye de fermer les yeux, de me boucher les oreilles, de faire le vide dans mon esprit : ne penser à rien pour trouver le sommeil. Progressivement, je monte le volume de mon baladeur. Mais il n'y a rien à faire. Le sommeil ne vient pas et le ronflement continue de faire trembler l'armature du lit, de faire vibrer la pièce dans son intégralité. J'entends le cinquième occupant de la chambre pester à voix haute en allemand. Vers quatre heures, les deux occupants anglais prennent leurs couvertures et leurs affaires et vont se coucher dans le couloir. Ils nous abandonnent à notre triste sort. Aucune issue possible, aucune rémission envisageable : le ronflement est inaltérable. J'hésite à les rejoindre. J'en ai marre. Je suis énervé comme rarement je le suis. Je sens la pression montée à l'intérieur de moi. Je bous. Je sens que je vais exploser. Peu avant 5 heures, je finis par descendre de ma mezzanine. Je shoote dans son oreiller. Rien à faire. Les ronflements ne faiblissent pas. Je continue, de plus en plus violemment. Le "barbare" finit par se réveiller. Son argumentation est infaillible : « It's not my fault » ! Je le coupe avant qu'il ne puisse m'expliquer ses malheurs. « Since two hours, I can't sleep. » Rarement mon niveau d'anglais aura été aussi faible. Même avec le désormais célèbre « Can I take a picture... with you and me ? » prononcé lors de l'interview du groupe Louis XIV je n'ai atteint un niveau aussi pathétique. Avant qu'il ne puisse prononcer un seul mot, je file me recoucher. Je laisse le sommeil me gagner. Mes yeux se ferment, mon coeur se relâche. Un état de quiétude étonnant. Le sommeil se fait délicieux. Il est doux. Je vais pouvoir finir ma nuit. Au réveil, le "sauvage", un gros noir aux dents éclatantes, m'adresse ses excuses et tentent de s'expliquer dans un anglais aussi approximatif que le mien. L'échange tourne court. J'ai le temps de saisir quelques mots; il parle de Lisbonne, d'opération, de cloisons nasales cassées. Il se hasarde même à deux-trois explications en français. Mais je me révèle d'une nature rancunière et j'ai encore du mal à encaisser ma nuit. Il finit par laisser tomber, prend sa valise et quitte la chambre, rongé par la culpabilité, inquiet pour le salut de son âme...



2 commentaires:

Petit Apollon a dit…

Vois un peu le bon côté des choses, je n'étais que sourd ! S'il avait fallu t'emmener aux urgences et que j'eus été muet, nous n'aurions pas été dans la merde, si je peux dire ! Ou pire encore imagine que ce soit moi qui ait fait un malaise à Amsterdam... J'aurais eu le temps de mourir sur Dam Square avant même que l'ambulance ne soit arrivée ! LOL

Quand au mec black j'ai halluciné car à un moment un anglais lui a lancé une énorme chaussure de randonnée en plein dans la face ! Franchement c'est limite quand même... Et la cerise sur la gateau le "Sinnnssss tou aworzzz aïe kant slip !", je dois avouer que j'ai plus rigolé que dormi cette nuit là mais ça fait parti du jeu :)

Vive Amsterdam !

Tronk a dit…

Bon, juste pour dire MERCI pour la promo Moissonnesque (merci VA33...). Je lis le post sur Rothko dès que j'ai le temps (Rothko ou l'expression de la maniaco-dépression: je suis fan de Rothko, décidément).