Gregor Schneider est un adepte des espaces complexes conçus pour déstabiliser les visiteurs. Sa dernière création - Süber Duft (doux parfum) - est visible à la fondation de La Maison Rouge jusqu'au 18 mai 2008.
Il est impératif de découvrir le travail étrange du jeune plasticien allemand Gregor Schneider. Celui-ci est en quelque sorte un architecte de la peur. Les lieux qu’il construit au gré des invitations et des expositions interrogent les rapports entre architecture, espace d’exposition et espace privé. Il transforme l’univers domestique en un espace inquiétant. La création originale présentée à La Maison Rouge s'inscrit indubitablement dans la lignée de ses oeuvres précédentes, ne serait-ce que par l'ascétisme du lieu et son inconfort revendiqué. Cette mise en espace s'avère donc être une bonne approche de son art aussi intriguant que déroutant. Intriguant compte tenu du doux parfum de mystère qui émane de l'exposition et déroutant en raison du doux parfum d'angoisse qui plane dans l'atmosphère tout au long de la visite.
Avant d'entrer, les « hôtes » de La Maison Rouge doivent généralement patienter quelques minutes. Pendant ces quelques minutes, le vigile qui surveille l'entrée du « concept » fait monter la pression en tentant d'effrayer les plus sensibles avec de petites remarques perfides et fallacieuses. L'appréhension laisse place à l'anxiété qui se transforme rapidement en une angoisse aussi irrationnelle qu'insensée. Effectivement, une partie de l'originalité de la création est directement imputable à l'ambiance qui règne dans le patio de La Maison Rouge. A peine arrivé, le visiteur apprend que l'entrée dans la structure de Gregor Schneider se fait seul, une personne seulement toutes les cinq minutes. Puis un gardien fait signer une décharge, demande au visiteur incrédule s'il est cardiaque, claustrophobe et même s'il a peur du noir. La pression monte, le cœur se met à battre un peu plus fort. Même sans être d'un naturel angoissé, le visiteur commence à redouter le moment où il pénétrera dans l'enfilade de pièces dont il ne sait rien.
Le moment fatidique se fait attendre, se laisse désirer. Puis, deux-trois petites touches d'humour plus tard, le visiteur peut enfin pénétrer dans la structure conceptuelle. Un long couloir bardé de fils électriques et de crépis inachevé l'attend. Arrivé au bout de cette immersion assez particulière, il ouvre la première porte. A partir de cette seconde il sait qu'il ne pourra pas faire demi-tour. Que quoi qu'il arrive, il est prisonnier de la structure, qu'il faudra aller jusqu'au bout. Les portes ne s'ouvrent que dans un sens. Il passe de pièces vides en pièces vides, de pièces froides en pièces chaudes, de pièces blanches en pièces noires. Là où Jean Dubuffet aurait mis du noir, du rouge ou du bleu comme dans sa Closeraie, Gegor Schneider se contente de murs monochromes. Là où Christian Boltanski aurait meublé l'espace jusqu'à l'engorgement, Gegor Schneider préfère laisser le visiteur seul avec lui-même, dans un espace clos et saturé de lumière ou d'obscurité.
La froideur du lieu laisse progressivement place à une tension, une tension insidieuse et inquiétante. Le visiteur est seul face à l'espace, face à la succession de ses sentiments. Le poids de cette solitude se fait sentir, devient presque insoutenable. Le visiteur continue sa déambulation labyrinthique, ouvre porte après porte avant de se retrouver brusquement plongé dans le néant. Durant une fraction de seconde, il aimerait revenir sur ses pas. Il vient de s'enfoncer dans l'inconnu. Il avance dans le flou le plus total. Plusieurs fois, la tentation de sortir son téléphone se fait ressentir. Le visiteur cherche à se repérer, à trouver un point de lumière avant de se résigner, d'abdiquer, vaincu par la puissance qui émane de la structure de plâtre et d'acier. En jouant le jeu jusqu'au bout, il cède aux lubies dévastatrices de Gregor Schneider. Le pouls s'emballe au fur et à mesure que le temps passé dans ce labyrinthe claustrophobique s'étire. Rassemblant ce qui lui reste de courage, le visiteur longe les murs, tâtonne jusqu'à trouver la poignée libératrice.
Finalement, le visiteur ressort comme il est entré ; avec l'impression d'avoir vécu quelque chose d'unique mais aussi finalement très futile et sans grande profondeur ni questionnement intellectuel. Cela étant dit, “Süber Duft” n'en reste pas moins une expérience unique profondément déstabilisante car elle renvoie à des peurs primaires, des souvenirs d'enfance. Il n'y a aucun piège, la panique, c'est chacun qui se la crée, l'imagine et l'attend. En jouant avec les nerfs des visiteurs, Gregor Schneider les pousse à découvrir ce qui les habite, les hante. Il les contraint à rencontrer leurs propres peurs. La peur de rester sur place, de ne pas évoluer, de passer à côté. La peur de la routine. La peur de prendre les mauvaises décisions. La peur des non-dits, des paroles en l’air, des promesses non tenues. La peur d’être ridicule. La peur de gêner, de déranger. La peur de replonger dans le passé. La peur de ne pas savoir choisir. La peur de soi-même. La peur de trop réfléchir. La peur d’écrire. La peur de l'inconnu.